Tau Metuktire : la nouvelle garde du peuple Kayapo

À l’occasion de la tournée exceptionnelle organisée par Planète Amazone autour du projet Amazonia, Cœur de la Terre Mère, nous avons l’honneur d’accueillir en France et en Belgique le Cacique Tau Metuktire, petit-fils du Cacique Raoni. Partenaire de longue date de notre ONG, dont il a accompagné la création et les premiers engagements, il représente aujourd’hui son grand-père empêché pour raisons de santé. Ce témoignage inédit, recueilli à Brasilia en avril 2025, retrace son parcours, sa vision et les fondements d’un engagement fidèle, tourné vers la transmission et l’avenir.

 “Je m’appelle Tau Metuktire, c’est ainsi que je suis connu de tous. Au sein de mon peuple Kayapó / Mebêngôkre, je porte également le nom traditionnel de Bepkamro, ou “poisson-vif des flots”. Je suis l’un des petits-fils du Cacique Raoni. J’avais à peine quinze ans lorsque mon grand-père m’a fait asseoir face au feu dans la maison des hommes ; il m’a confié que, tôt ou tard, le bâton de chef passerait dans mes mains. Pendant des nuits entières il m’a enseigné les chants rituels, l’art de la parole, les règles qui font tenir une communauté debout. Il répétait : « Un cacique ne défend pas seulement des gens, il protège la forêt, il écoute les esprits et il ouvre des chemins vers l’extérieur. »

Comment on devient cacique

 À seize ans, je le suivais déjà partout : aux forums territoriaux, aux réunions de l’État, jusqu’aux couloirs de Brasília. Mais pour qu’un chef soit reconnu, il faut la voix du peuple. Trois grandes assemblées furent convoquées : d’abord dans mon village Metuktire, puis lors d’une formation de professeurs indigènes, enfin à Piaraçu, lieu sacré des Kayapó. À chaque fois, Raoni a levé mon bras devant la foule : « Voici Tau. À partir d’aujourd’hui, respectez-le, aidez-le ; il parlera pour vous et pour la terre. »

Ainsi ai-je reçu la charge : consulter les anciens avant toute décision, empêcher qu’une route, un barrage ou une mine ne s’impose sans l’accord de tous les caciques. Notre territoire n’est pas un cadeau du gouvernement ; il est né de décennies de lutte, menées par mon oncle Megaron, par mon grand-père Krumare, par de nombreux parents d’autres ethnies. Voilà pourquoi, encore aujourd’hui, toute grande entreprise – publique ou privée – doit d’abord nous entendre.

Le Cacique Tau Metuktire, ©Planète Amazone

Le jour où j’ai traversé l’Atlantique

 En 2006, une conférence européenne invita le Cacique Raoni. À la dernière minute, un contretemps l’obligea à rester. Il réunit le conseil et, une fois encore, leva mon bras :

« Tu partiras à ma place. Fais-leur entendre notre voix. »

J’avais vingt-cinq ans. J’ai quitté la forêt pour la France, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, Monaco. Je découvrais des villes glacées où personne ne se salue, des prairies sans un arbre, des gens pressés comme des fourmis. J’ignorais qu’il existait d’autres continents, d’autres langues, d’autres nourritures. Ce premier choc m’a appris deux choses : le monde est vaste et nous aurons besoin d’alliés pour défendre la forêt.

Je croyais qu’en Europe, personne ne prêterait attention à un Kayapó. Pourtant, plus je racontais nos difficultés, plus je rencontrais des personnes à l’écoute — et parfois même prêtes à nous soutenir concrètement. 

 

Voyager avec le cacique Raoni

Le Cacique Raoni est traduit par le Cacique Tau Metuktire pendant une discussion avec Joenia Wapichana, présidente de la FUNAI, © Planète Amazone.

Quelque temps plus tard, mon oncle Megaron m’appela :

« Il faut que quelqu’un d’autre que ton grand-père se montre au monde. Accompagne-le.»

J’étais le seul de la famille à posséder un passeport ; j’ai donc veillé sur mon grand-père, Raoni, lors d’une nouvelle tournée en Europe. Nous avons arpenté les palais et les plateaux télé de France, Belgique, Luxembourg, Suisse, Monaco. Je portais ses messages, je traduisait ses silences ; c’est là que j’ai vraiment appris le métier de représentant.

 

La naissance de Planète Amazone

 Au fil des étapes, j’ai fait la connaissance de Gert (NB : Gert-Peter Bruch, fondateur de Planète Amazone). Son accueil chaleureux me donna l’idée de l’aider à structurer ses élans : à la fin d’un voyage en France, en 2011, je lui demandai de fonder une nouvelle association. Ainsi naquit Planète Amazone.

L’association Planète Amazone n’est pas restée un papier. Elle a commencé par financer un camp de surveillance en forêt, un moteur et un bateau pour patrouiller la rivière, puis des vivres. Puis, énormément de choses se sont enchaînées. En 2020, quand la pandémie a fauché le monde, plus personne n’osait entrer dans les villages. Planète Amazone a pourtant acheté des tonnes de nourriture et des médicaments de pharmacie ; j’ai insisté pour que ces colis arrivent jusqu’aux aldeias. Dans ces mois difficiles, cette aide a sauvé des familles entières. 

 

Quand la jeunesse s’égare

Je vois les adolescents de nos communautés fascinés par le football, les téléphones, les fêtes. Ils chassent moins, pêchent moins, ne récoltent plus ni le manioc ni les graines. On ne danse plus chaque soir autour de la maison des hommes. Si nous ne créons pas d’activités qui unissent modernité et racines, la culture risque de s’éroder jusqu’au silence.

 

Former les Gardiens : enseigner l’ancien et le neuf pour mieux garantir l’avenir

Je porte aujourd’hui un projet d’éducation différenciée, car la transmission des savoirs traditionnels est à l’agonie dans notre peuple. D’un côté, je lutte pour que nos aînés transmettent ce qu’ils savent encore : fabriquer des parures, préparer les plantes médicinales, peindre les corps, raconter l’histoire des ancêtres et les dangers qui menacent la forêt. De l’autre, je me bats pour que nos jeunes sachent manier un ordinateur, une caméra, un drone. La technologie est devenue notre arc et nos flèches ; elle prouve (dénonce) une invasion, documente une injustice, alerte le monde en quelques secondes. 

Pour cela nous sollicitons les partenaires capables de financer du matériel, des connexions Internet stables, et surtout des échanges linguistiques : apprendre l’anglais ou le français pour plaider nous mêmes notre cause devant les instances internationales.

Quand Planète Amazone m’a proposé de participer à son projet “Amazonia, Coeur de la Terre Mère”, qui travaille sur ces objectifs en proposant de plus des échanges interculturels permettant d’ouvrir de nouvelles perspectives, de nous renforcer mutuellement et de recevoir des jeunes, des professeurs et des acteurs de la transition écologique du monde entier dans nos villages, j’ai immédiatement accepté. Nous allons ouvrir un nouveau chemin ensemble.

Le Cacique Tau Metuktire, © Planète Amazone

Le cacique Raoni, un Nobel pour la Terre

 Pourquoi tant de gens considèrent mon grand-père comme le plus grand cacique du Brésil ? Parce qu’enfant déjà, son père l’a formé comme guerrier. Plus tard, les frères Villas-Bôas ont vu en lui un chef au destin national. Raoni a gardé toutes ces leçons ; il n’a jamais défendu seulement les Kayapó, mais l’ensemble des peuples indigènes. Sa parole a franchi les frontières, dénonçant la déforestation avant même que le terme ne devienne courant.

Voilà pourquoi je soutiens sa candidature au prix Nobel de la Paix : parce qu’elle honorerait ceux qui protègent la forêt pour l’humanité entière.

 

Un dernier mot à la France

 Je m’apprête à revenir à Paris pour lancer notre appel mondial en faveur de l’éducation différenciée. Cette fois-ci, je représenterai mon grand-père, le cacique Raoni, qui ne pourra pas voyager en raison de problèmes de santé. Nous invitons la jeunesse – indigène ou non – à marcher avec nous ; nous invitons les enseignants, les chercheurs, les associations à devenir nos partenaires. Si vous entendez ma voix, sachez qu’elle porte les battements de cœur de la forêt. Aidez-nous à faire du savoir traditionnel ancestral et de la technologie moderne un seul souffle, capable de défendre la vie où qu’elle se trouve. 

Je vous remercie. Nous nous verrons bientôt, et, ensemble, nous ferons grandir ce rêve.”

 

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PARIS, GRAND REX
10.04.2024

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